J’ai découvert Christiana Moreau grâce à son précédent roman, La sonate oubliée, que j’avais beaucoup aimé. Alors, forcément, je me suis empressée de lire Cachemire rouge. Et quelle lecture ! Quelles destinées ! Et quelle histoire que celle de ces femmes et de ce cachemire ! Un vrai coup de cœur.
Alessandra vit en Toscane et possède un magasin à Florence qui vend des cachemires de luxe. Si elle réussit dans cette branche, c’est parce qu’elle va s’approvisionner là où est produit le plus beau cachemire, en Mongolie. Le jour où elle achète un magnifique pull en cachemire rouge sur un marché, elle n’imagine pas les vies qui vont en être bouleversées…
Bolormaa est une jeune fille qui vit avec ses parents en Mongolie. Elle mène une existence de nomade, en adéquation avec la nature. Ses frères s’occupent du troupeau de chèvres sur les hauts plateaux en hiver, et elle aide à la tondaison quand les beaux jours arrivent. Cette laine n’est pas n’importe laquelle : il s’agit d’un cachemire extrêmement qualitatif car le troupeau vit en liberté et non entassé les uns sur les autres. Mais quand le froid décime le troupeau, Bolormaa et sa famille décident de se sédentariser. Elle se retrouve au milieu de chinois dans une fabrique de cachemire, à faire un travail ingrat. Mais avant cela, elle avait filé un peu de laine, l’avait teinte et avait réalisé un magnifique pull rouge, vendu à une femme italienne sur un marché qui lui donne sa carte de visite. Quand elle se fait une amie chinoise, Xiao-Li, et qu’elles décident de quitter cette misère, c’est avec cette carte de visite en poche et vers cette femme italienne qu’elles décident de se diriger. Un long périple les attend, via le Transsibérien, les réseaux clandestins, au travers de dangers qu’elle n’avait pas imaginés.
Les destinées de ses trois femmes ne peuvent laisser indifférents. A commencer par celui de Bolormaa, si attachée à sa steppe et à sa manière de vivre ancestrale, si simple et humble, qui se retrouve à devoir travailler dans une usine sordide, où les droits des Hommes sont bafoués, où l’humain n’est plus qu’un rouage dans la fabrique de choses de mauvaise qualité produite en masse par les chinois. Cela nous fait bien réfléchir quant à notre mode de vie actuel, ce qu’il implique pour certains pays. Bolormaa est un personnage magnifique, touchant de sensibilité et d’innocence, qui va se frotter très vite à des hommes odieux et au racisme des Chinois envers les Mongols. Xiao Li va modifier cette tendance et donner de l’espoir à Bolormaa : cette jeune chinoise qui espérait tant de son départ de sa famille va encourager sa camarade de travail à espérer et prendre des risques pour leur avenir. Parce qu’à partir de ce point-là, leurs destins sont inextricablement liés.
Ce roman nous parle également d’expatriation et de migrants. Ce n’est pas simple de tout laisser derrière soi, sa manière de vivre, sa famille, ses habitudes. Mais quand il devient clair que rien ne sera plus jamais comme avant et qu’on ne peut supporter être si mal traité dans une usine qui tient plus du goulag, le choix n’est plus à faire : il faut partir. L’avenir sera-t-il meilleur ? Le jeu en vaut-il la chandelle ? Rien n’est moins sûr. Parce que les deux jeunes filles s’embarquent pour un voyage difficile, plein d’embûches : faux passeports, passeurs, retenu de passeport par ces derniers, en plus du prix exubérant du voyage, exploitation.
La force de Christiana Moreau est de nous présenter tout cela de manière sensible et douce. On ressent la violence que Xiao Li et Bolormaa subisse, on la voit même, mais la lecture n’est pas difficile, elle n’est pas dérangeante, elle n’est pas angoissante. L’auteur a ce géni de nous faire comprendre cette horreur sans nous donner envie de refermer le livre. L’histoire reste belle et miraculeuse, malgré tout ce que subiront ces deux jeunes filles.
Et qu’en est-il d’Alessandra ? Elle va être liée de loin à Xiao Li et Bolormaa, sans le savoir. Ce cachemire rouge acheté sur le marché va être le symbole de la fin d’une ère. Parce que sa belle boutique de luxe va elle aussi être confrontée à la concurrence chinoise, qui rafle tout le cachemire, fait augmenter les prix, et rend impossible la vie de petits entrepreneurs. Ce cachemire rouge, mascotte de sa boutique, va avoir une vie propre, et va continuer à créer le lien entre les trois femmes.
Un pull en cachemire rouge, et la vie de trois femmes d’exception va s’en trouver bouleverser. Face à la violence des hommes et de l’économie, en traversant l’Asie, puis l’Europe, au gré de rencontres qui changent une vie ou la bouleversent, l’auteur nous dévoile le destin de trois femmes fortes et belles, au travers d’un roman parfois dur, parfois tendre, mais toujours juste, bourré d’émotions. Christiana Moreau confirme avec ce second roman tout son talent. Un auteur définitivement à suivre.
Ma note : 5/5
Christiana Moreau, Cachemire rouge, Editions Préludes, Paris, 2019