Julien Blanc-Gras, Dans le désert, Au Diable Vauvert, Vauvert, 2017
Un nouveau Julien Blanc-Gras, c’est toujours un événement pour moi. C’est vrai que je n’ai pas lu tous ses ouvrages, mais il n’empêche que me plonger dans un de ses écrits sera à tous les coups un excellent moment à passer. Ce qui est en soi bizarre, puisque je suis plus roman qu’essai. Et bien, cet auteur a réussi à chambouler mes repères ! Et pour le coup, Dans le désert n’échappe pas à la règle : c’est un excellent ouvrage, un réel coup de cœur !
Le ton étant donné, je vais tenter à présent de vous expliquer de quoi il retourne dans ces 181 pages. Voyageur aguerri, Julien Blanc-Gras nous emmène en Orient, dans ces villes et pays dont on entend beaucoup parler mais qu’on connaît finalement peu, ces pays du Golfe, oppresseurs des femmes, fabriques et financeurs des terroristes, richissimes grâce au pétrole et autres activités minières et richesses du sol, qui peuvent acheter tout ce qu’ils veulent. Mais est-ce si simple ? C’est la question que l’auteur se pose, décidant d’élucider le mystère en se rendant là-bas, en commençant par Doha, ville en chantier du Qatar. A la recherche d’interactions avec des locaux, avec toute sa bienveillance, son respect et sa grande ouverture d’esprit – et sans oublier son ironie – il nous entraîne à sa suite dans le désert, à la découverte de villes et de leurs habitants qu’on ne connaît que très mal. Ce livre va-t-il nous faire regarder ces peuples avec plus d’indulgence, grâce à une meilleure connaissance de leur histoire ?
C’est un pari ambitieux que fait l’auteur dans ce court ouvrage. Un pari qu’il relève haut la main, puisque les quelques rencontres qu’il réussit à faire nous présente des personnes qui pour la plupart en ont assez d’être réduites aux clichés véhiculés par certains d’entre eux. Mais Julien Blanc-Gras nous montre tout de même qu’il est bien difficile de chercher à intégrer ces locaux qui ne se mélange que peu aux expatriés qui sont parfois bien plus nombreux qu’eux dans ces grandes villes en plein essor, à l’image de Dubaï, Abou Dhabi ou Doha.
Si l’auteur nous plonge dans une culture et un monde en plein changement, qui cherche ses nouveaux repères, entre respect de la tradition et ancrage dans une ère nouvelle, c’est surtout sa prose qui nous enchante. Celle-ci, pleine de douce ironie, de respect et de mesure, mais toujours vrai et sans faux semblants, nous donne envie d’en savoir plus sur ces pays dont on véhicule plein de clichés et bien peu appréciés des touristes. Si on s’y rend, c’est bien pour rallier la multitude d’expatriés et non pour y découvrir la culture. Julien Blanc-Gras parvient à nous interroger sur notre regard, souvent loin d’être bienveillant à l’égard d’un peuple qui a subi cette irruption soudaine de richesses du sol qui en quelques décennies a chamboulés les économies, les rapports internationaux, les manières de vivre, les principaux intérêts et les paysages.
C’est donc un très beau texte, où à chaque page de courts passages nous interpellent par leur percutant, leur analyse fine, leur tournure acérée et leur véracité. Je ne peux m’empêcher de vous en révéler quelques unes, par pur plaisir, mais sans trop en révéler non plus – comme vous devez absolument lire ce livre, je ne voudrais pas vous en gâcher le plaisir !
« J’ai vu des horreurs, bien sûr, et des miracles aussi. Les belles âmes et les salauds coexistent dans tous les pays (c’est pour cela que je trouve peu pertinent d’être raciste) et toutes les classes sociales (c’est pour cela que je trouve peu pertinent d’être marxiste). » p.10
« C’est l’histoire du prolétaire qui a gagné à la loterie des hydrocarbures. En une génération, on est passé de la piste à l’autoroute, de la tente aux gratte-ciel et du chameau à la Ferrari. Ce ne sont pas des métaphores à 2 pétrodollars : c’est exactement ce qui s’est passé. » p. 17
« Comme beaucoup de business, il est contrôlé par l’Etat, qui se confond avec le clan royal, lequel arrondit ainsi ses fin de mois grâce au commerce de l’alcool, attitude moyennement halal en terre wahhabite. » p.22
« Un éditorial m’informe que le Qatar est un pays à la pointe des droits de l’homme. Une performance tout à fait remarquable dans un système sans partis politiques, ni élections, où l’Etat se confond avec la famille Al Thani. » p.37
Et une petite dernière (je pourrais recopier l’ouvrage entier…), qui marque le ton de l’auteur : « Je crois qu’il ne faut céder ni à l’intimidation, ni à la mauvaise foi. Au fil de mes livres, je me suis permis des vannes sur des chrétiens, des juifs, des mormons, des hindous, et surtout sur moi-même. Je me permettrai donc aussi l’humour avec des musulmans, pour ne pas les discriminer. » p.53
Vous l’aurez compris, Julien Blanc-Gras parvient à nous intéresser à des sujets sur lesquels nous ne nous serions pas forcément attardés, et nous y accroche de part sa fabuleuse plume, pleine d’ironie et d’humour, mais surtout emplie de bienveillance. C’est un énorme coup de cœur sur lequel je vous conseille de vous précipiter !
Ma note : 5/5
Sortie le 14 septembre 2017
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