Michaël Uras, Aux petits mots les grands remèdes, Préudes Editions, Paris, 2016
Vous aimez les livres ? Plus que cela, vous faites des analogies entre votre vie et certains livres lus ? Vous analysez votre quotidien, vos choix et vos ambitions selon de grands classiques de la littérature ? Alors vous ne pouvez qu’accrocher avec Alex, notre bibliothérapeute. Et si le charme du héros a su opérer sur moi, je ressors de cette lecture un chouïa mitigée…
Alex adore lire. Il a toujours aimé ça. Faut dire qu’il doit son prénom à l’un des plus grands auteurs français, Alexandre Dumas. Parce que sa mère, en plus de les aimer, a érigé cet auteur au rang de demi-dieu et a consacré sa vie à l’étude de la littérature et de la langue française en tant qu’universitaire, et cela au détriment de son fils. Alex, lui, a décidé que pour lui aussi, les livres seraient au centre de sa vie professionnelle. Mais hors de question de devenir universitaire ou éditeur. Il soignera par les livres, parce que les livres l’ont aidé dans sa jeunesse. Il sera bibliothérapeute. Sauf que cette discipline n’est pas reconnue en France, peu considérée, en aucun cas associé à de la médecine. Alors pour s’en sortir, il prend tous les patients qui se présentent. Surtout depuis que Mélanie qu’il aime par dessus tout l’a laissé un beau soir dans leur appartement pour retourner chez ses parents, le laissant se débrouiller seul avec le loyer et leur propriétaire richissime, pingre et bien peu compréhensive. Alors il accepte d’aider Yann, jeune adolescent au passif compliqué, aux relations familiales difficiles, handicapé de la parole depuis un accident. Et Anthony, également, qui voudrait s’entretenir avec lui uniquement par téléphone, pris comme il est en tant que professionnel du football qui fait la une de tous les journaux depuis que la rumeur court qu’il souhaiterait quitter le fameux club parisien. Enfin, Chapman, mysogine, homophobe, qui n’a plus une minute à lui et est au bord du burn out, prêt à tout pour passer plus de temps avec sa femme et lui faire plaisir, même si cela implique d’avoir de petits gestes inattendus comme celui d’acheter de l’électroménager, le comble du romantisme… Une belle brochette de personnages vont se dévoiler dans ces pages, avec la question sous-jacente de savoir si ce n’est pas plutôt eux qui aideront Alex et non l’inverse… Parce que le principal patient d’Alex est finalement Alex lui-même.
Ce roman est très particulier parce qu’il nous parle de romans d’une manière nouvelle, prenant des ouvrages classiques et intemporels comme références à notre vie quotidienne, comme guides et questionnements sur nous-mêmes, nos actes et nos problèmes. Et c’est fou de voir le nombre d’interprétations possibles, et de constater qu’à défaut de guérir, ils peuvent nous amener sur la voie d’une meilleure compréhension de nous-même… Avec les écueils que ceci peut avoir, parce qu’il faut être un peu sensible, très ouvert à cette méthode qu’il est nécessaire d’accepter au départ, et ne pas y voir une simple échappatoire ou la solution rapide à tous ses problèmes… Michaël Uras met en avant une manière peu commune d’envisager les livres, et c’est une bonne chose. De quoi avoir envie de changer de voie professionnelle… !
Alex est attachant parce que malgré son souhait d’aider les autres, il reste un grand enfant qui a bien du mal à voir la réalité du quotidien en face : l’appartement trop grand et trop cher, le nombre trop peu conséquent de patients, le départ de Mélanie. C’est un incorrigible optimiste, qui espère que tout rentrera dans l’ordre, tout simplement. Sa manie de laisser le monde derrière lui pour s’isoler sur les toits parisiens et lire son livre du moment en dit long sur lui. Par sa manière d’être, il redonne un peu espoir, parce que les mots des autres, de ses auteurs qui nous bercent de toutes sortes de sonorités, seront toujours là, quoi qu’il arrive.
Quant aux patients, ils sont tellement différents les uns des autres qu’on sent que l’auteur s’est amusé à convoquer des personnages hauts en couleurs, inoubliables. Yann est touchant, même si bizarre, et dérangeant dans ses réactions et sa relation à sa mère qui, si elle n’est pour rien dans ce qui lui est arrivé, l’exaspère au plus haut point en prenant toutes les décisions pour lui, en le gardant à l’abri du monde et dans son souhait de le soigner coûte que coûte. Les problèmes d’Anthony paraissent dérisoire mais nous montre aussi qu’être célèbre et riche n’a pas que des avantages et que ses décisions professionnelles, si elles n’engagent que lui directement, ont beaucoup trop d’impacts sur le monde qui l’entourent, supporters, clubs, mais surtout sa famille. Quand à Chapman, c’est l’anti-héro même. Condescendant, qui veut se faire bien voir à tout prix, qui se vante de choses triviales mais qui cache bien ses engagements, il est celui qui pose le problème du jugement de la part du thérapeute : comment garder un certain recul face à des actes qui nous révulsent ?
Michaël Uras nous dévoile une époque troublée, au moment des affrontements entre partisans et opposants au mariage pour tous, et inscrit ainsi son roman dans un temps et un lieu où les livres ont toute leur importance. Il élève la littérature au rang de remède du quotidien, de point d’appui pour mieux comprendre sa propre vie et ses choix. Il nous donne envie de plonger ou replonger dans des classiques, comme l’Odyssée d’Homère, ou encore L’Attrape-Cœur de Salinger.
Peut-être est-ce parce que j’ai entamé cette lecture juste après un roman que j’avais adoré mais je n’ai pas été prise comme je l’aurais aimé l’être par les mots de Michaël Uras, dont la plume n’a pas démérité. Mais j’ai malgré tout passé un agréable moment à la lecture de ce roman !
Ma note : 3/5