Alexandre Postel, Les deux pigeons, Editions Gallimard, Paris, 2016
Un roman étonnant, à la limite du documentaire, qui nous conte la vie d’un jeune couple sur plusieurs années dans leur vie quotidienne, les petits bobos, les réussites, les détails, l’engagement, les enfants, le boulot. On pourrait croire que ce n’est pas franchement intéressant, mais c’est tellement bien écrit et amené qu’on se prend au jeu !
Théodore et Dorothée viennent de s’installer ensemble à Paris. Mais voilà, ils ont beau s’aimer, le quotidien et les questions pratiques s’immiscent entre eux : comment se nourrir ? La malbouffe ne peut durer qu’un temps, mais manger de la viande à tous les repas, est-ce bien ? Et manger équitable ? Oui mais comment, surtout quand on ne sait pas cuisiner ? Vaut-il le coup de finir une thèse depuis longtemps entamée ? Comment changer cette société qui ne convient plus aux jeunes ? Et le mariage ? Est-il nécessaire de se marier pour se lier ? Pour prouver son amour ? Et fonder une famille, est-ce un passage obligé ?
La vie commune de ces deux pigeons est ainsi décortiquée. Les diktats de la société sont analysés, la vie de deux jeunes personnes dans la vingtaine en plein cœur des années 2000 montre les questionnements qui se posent aux jeunes d’aujourd’hui. On sent leur individualisme, leur égoïsme, couplé à un désir de bien faire, de s’indigner, de se politiser. Et ce, dans un monde difficile, où la génération Y est bien secouée ! En bref, c’est moi, c’est tous les jeunes entre 20 et 35 ans qui se sont cherchés durant les années 2000, qui ont espéré autant que désespéré, qui ne savent pas bien ce qui est le mieux pour eux, qui doutent de tout. Avec une question latente : est-on heureux ? Et ces questions se posent en regardant les voisins, en analysant toujours tout, en jalousant tout le monde et en minimisant ce qui les rendent heureux. Quel est ce besoin de justifier ses propres choix en fustigeant ceux des autres ? C’est malheureusement bien ce qui caractérise la jeunesse de notre époque, puisqu’elle est obligée de se battre pour tout, pour un travail, pour un logement, pour trouver l’amour et garder des amitiés. Ou est-ce autre chose ? Un mal actuel ?
Ce roman est à la fois très cynique et très touchant. Parce que les personnages dépeints dans ce roman sont attachants. Parce qu’ils sont perdus, plein d’espoir et fragiles. Parce qu’ils sont nous. Parce que nous sommes comme eux. Parce qu’on veut tout, sans vraiment savoir quoi exactement. Parce que nous sommes inutilement et faussement compliqués, qu’on se crée des problèmes quand il n’y en a pas. Organiser une crémaillère, aller à un mariage, ne pas oser parler avec certaines personnes qu’on trouve trop au-dessus de nous, se cacher derrière un projet – une thèse – pour ne pas avouer – et s’avouer à soi-même – qu’on sera sûrement professeur toute sa vie, et pourquoi pas ? Ne pas assumer qu’on a trouver sa place dans le web quand on aspirait à 18 ans à être journaliste, fustiger les autres en cas d’échec, garder de petits griefs au fond de soi pour mieux se cacher derrière et les dévoiler au milieu d’uns dispute. Se perdre dans des idées de décoration, parce qu’on pense que le paraître est sûrement ce qui nous définit le mieux. On est tous comme ça, on est tous comme Dorothée et Théodore, et ne pas se l’avouer est peut-être pire… Et pourtant, on ne le perçoit pas vraiment comme cela à la lecture, on se laisse prendre au jeu de l’écrivain et ce n’est qu’après l’avoir refermé qu’on se rend compte de son cynisme. En enchaînant les pages, on adhère à leur histoire, on compatit, on s’énerve et on est d’accord avec eux. On se rend compte ensuite que c’était bien vain, et que ce cynisme qui transpire du roman est également en nous.
Ce roman, qui s’apparenterait presque au documentaire, est d’une grande fluidité. Il se lit d’un trait – il faut dire qu’il ne fait que 220 pages – et sans que les vies de Dorothée et Théodore soient palpitantes, la belle plume de l’auteur nous embarque dans leur vie quotidienne. C’est frais et touchant, c’est cynique et ironique, c’est un équilibre parfait entre la douceur et l’amertume.
Les deux pigeons est un livre vrai sur un couple qui grandit et s’épanouit comme il peut dans les années 2000, pris par les diktats de la société, plaisant à lire et dressant un portait touchant et cynique sur la jeunesse du XXIe siècle. Je conseille !
Ma note : 4/5
Tout à fait d’accord avec votre critique… j’ai apprécié ce roman infiniment !!!
J’aimeJ’aime