Emma Cline, The Girls, Quai Voltaire / La Table Ronde, Paris, 2016
Quel roman ! Je n’étais pas très tentée par le résumé de ce roman au départ. Et j’ai entendu beaucoup de choses positives sur The Girls, alors je me suis lancée, et waow ! C’est fort, dur, puissant, tendre, on passe par tous les sentiments, mais surtout l’auteur parvient à nous fasciner, et à nous faire comprendre Evie, prise dans un filet qui la dépasse. Un tour de force !
Nous sommes en Californie. En 1969. Evie a quatorze ans et vit avec sa mère. Son père a quitté le foyer quatre mois plus tôt pour s’installer avec sa secrétaire. Depuis, sa mère tente de nouvelles choses : elle ne mange plus de viande, boit des thés assez spéciaux et rencontre des hommes. Evie passe le plus clair de son temps chez sa copine Connie. Mais une dispute les sépare et Evie est rapidement fascinée par un groupe de filles pour le moins marginal qu’elle croise plusieurs fois dans la rue. Elle entame la conversation avec celle qui l’attire le plus, Suzanne. Rapidement, elle se rend avec elles dans un ranch délabré des environs où elles vivent de peu, de découvertes dans les poubelles et de larcins, de dons divers, et surtout de drogues. Toutes les filles sont à la solde d’un homme charismatique, Russel, qui leur sérine que le monde est égoïste et injuste, et que leur manière de vivre, par le partage et l’élévation de l’âme, est la plus pure, la plus juste. Evie, elle, reste attirée par Suzanne, elle est donc prête à tout pour faire partie de cette secte. Rapidement, pourtant, les choses tournent mal. Cette histoire nous est contée par une Evie adulte, qui, avec un recul nécessaire, analyse ses actes, sans les justifier.
Et bien, quelle histoire ! Un roman qui reste longtemps en tête après l’avoir refermé, tant il nous interroge, nous interpelle et nous fait ressentir mille émotions différentes. Cette violence qui transpire à chaque page, sans même qu’Evie n’en prenne conscience, c’est à la fois morbide et intense. On lit tout cela avec une fascination morbide, c’est dérangeant et pour autant brillant. On pourrait croire à me lire que chaque instant du roman est dur, brut, mais c’est loin d’être le cas. D’abord parce que la Evie adulte tempère. Ensuite, parce que chaque instant que nous lisons ne se passe pas dans ce ranch désaffecté, et que nous suivons la vie d’Evie avant sa rencontre avec ces filles, et sa relation avec ses parents et ses amies. Enfin, parce que l’écriture d’Emma Cline est juste. Elle ne rajoute pas d’horreur ni de violence inutile, elle relate, juste. Avec une belle plume, qui plus est. On se laisse prendre par le parcours d’Evie, on sait bien qu’elle va s’en sortir in fine, on sait également qu’un drame va venir clore cet été précédent son entrée dans un internat. Et pour autant, on cherche à comprendre comment tout cela a bien pu se produire. Quel est ce drame qui va se passer. Comment les parents d’Evie n’ont rien remarqué. Pourquoi Evie était si fascinée par Suzanne.
Ce qui est extrêmement intéressant, c’est bien sûr de comprendre le fonctionnement de cette secte et de comprendre comment ce Russel ait pu rallier autant de jeunes femmes à ses idées, et les asservir à ce point. Parce qu’elles sont totalement sous sa coupe, elles changent du tout au tout dès qu’il est dans les parages. Elles sont amoureuses de lui et pratiquent donc l’amour libre, obéissent à chacun de ses ordres, jusqu’à commettre l’irréparable. C’est à la fois inconcevable et presque compréhensible quand on se frotte à ce monde par les yeux d’Evie. On se rend compte que c’est finalement tellement simple de se laisser prendre dans les mailles d’un tel filet, bien qu’Evie, du haut de ses quatorze ans, reste protégée par son âge, n’étant pas enfermée dans le ranch et dans une fascination morbide pour le gourou comme le sont les autres. On s’interroge beaucoup sur Suzanne également, qui fascine Evie au point de la suivre partout. Et malgré tout, Suzanne a un certain retrait vis à vis de la jeune fille, tantôt proche d’elle, tantôt la laissant de côté, et comme la Evie adulte, on ne peut que se demander si c’est par jalousie parce qu’Evie reste libre, ou pour la protéger, sentant malgré tout que le monde dans lequel elle évolue est dangereux, violent.
Et c’est aussi ça qui rend le roman si passionnant : les personnages sont complexes et bien construits. L’auteur dessine des personnalités fortes, avec beaucoup de justesse, rendant à merveille le côté ambivalent, leur incertitude, leur dureté et leur profondeur. Et par eux, par le contexte, elle nous décrit une époque pleine de libertés, dans la Californie des années 60, où prendre de la drogue était presque un rituel de passage, quelque chose de normal : chaque adolescent croisé dans les pages du roman veut se montrer adulte et intéressant par la consommation de drogues douces, de piètre qualité. On ressent une époque, celle proche d’un renversement, où la prudence et la sécurité vont bientôt être de mise face aux bouleversements sociétaux, mais qui ne le sont pas encore.
Ce roman est donc un roman fort, un roman intense, un turn over palpitant. Un premier roman d’Emma Cline, une réussite, une excellente surprise de la rentrée littéraire. Foncez.
Ma note : 5/5
j’ai vu qu’il n’est pas encore sortie, mais quand ce sera le cas je saute direct dessus !
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Oui ! Grande idée !
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Très tentant ! Merci pour la découverte !
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J’aime beaucoup quand je tente des personnes à lire des romans qu’ils n’auraient peut-être pas remarqués… Même si je ne fais pas du bien à leurs finances ! Désolée pour ça 😉
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Ok. Au début, il me tentait beaucoup. Maintenant je le veux à tout prix !
xD Merci pour cette chronique !
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Ravie de vous avoir confortée dans votre choix !
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