Clélie Avit, Je suis là, JC Lattès / Le Livre de Poche, Paris, 2015 / 2016
Je suis là est un petit roman étonnant, qui m’a surprise, sur les drames qui touchent deux êtres destinés à se rencontrer d’une manière bien singulière. Je suis conquise !
Elsa est plongée dans le coma. Du haut de ses 29 ans, férue de montagne et de glaciers, elle se retrouve dans cet état depuis vingt semaines à la suite d’un accident. D’une avalanche à laquelle elle n’a survécu que par miracle. Etonnamment, cela fait maintenant six semaines qu’elle entend ce qui se passe autour d’elle. Si l’ouïe lui est revenue, ses autres sens sont aux abonnés absents. Elle est incapable de remuer un seul muscle, de ressentir quoi que ce soit ou de sentir une odeur. Mais elle écoute. Elle pense. Mais son entourage ne le sait pas et les médecins sont prêts à la débrancher.
Thibault a la trentaine et depuis quelques jours, il est obligé d’amener sa mère rendre visite à son frère à l’hôpital. Thibault ne veut pas le voir parce que s’il se retrouve dans ce lit d’hôpital, c’est uniquement sa faute, une faute impardonnable aux yeux de Thibault : il a pris le volant alors qu’il avait bu, et en plus d’avoir eu un accident, il a fauché deux adolescentes qu’il a tué sur le coup. Un jour, alors qu’il tente d’occuper l’heure que passe sa mère avec son frère, il se trompe de porte et se retrouve dans la chambre d’Elsa. Alors qu’elle l’entend, elle apprend à découvrir cet être grâce aux sons. Lui, très vite, se met à lui parler et parvient à trouver le repos auprès d’elle. Et s’il était le seul à comprendre qu’Elsa était toujours là ?
Ce court roman est envoûtant de par sa narration. Il nous transporte dans le psychisme de deux personnes blessées, que l’on suit tour à tour. Raconté dans chaque cas à la première personne du singulier, on est au plus près du ressenti des personnages. On apprend à les connaître et on s’attache rapidement à eux. On est emporté par les mots de l’auteur et on se laisse attendrir par l’attachement naissant de ces deux personnes, aussi improbable que la situation soit. Ces deux écorchés se raccrochent à peu de chose pour retrouver le goût de la vie et ses sensations.
L’auteur met aussi en exergue cette situation médicale incomprise qu’est le coma. Si on sait que le corps se met dans cet état de veille afin de se rétablir, on ne sait pas quand ou s’il en sortira, ou encore si la personne peut entendre ce qui l’entoure ou ressentir quoi que ce soit. Clélie Avit décide qu’Elsa entendra, et pourquoi pas ? Cette immersion dans les pensées de ce personnage est fascinante tant l’auteur parvient à imaginer ce qu’elle pourrait penser, mais surtout la manière dont elle pourrait percevoir les sensations des personnes lui rendant visite dans sa chambre d’hôpital. Ainsi, elle s’imagine des couleurs et leurs mouvements selon les émotions et les personnes qui les ont. L’auteur imagine également comment elle parvient à se mettre en veille, ce qu’elle voit dans ses « rêves », comment elle est hantée par son accident. Elsa essaie aussi de trouver des repères aux jours qui passent, à l’heure qui peut être, selon les visites, les passages de la femme de ménage et sa radio allumée par exemple. L’auteur a vraiment pensé à tous les éléments entrant en jeu quand on est dans le coma avec une ouïe active et permet au lecteur de se laisser prendre au jeu et de croire à cette histoire.
Quant à Thibault, le seul trait un peu gênant serait sans doute sa « perfection ». Il ne boit jamais, ou très rarement, et s’il a toutes les raisons d’en vouloir à son frère, son jugement intraitable est légèrement poussif, puisqu’il est déjà bien puni lui-même d’avoir ôté la vie. Concernant l’idylle naissante avec cette jeune fille dans le coma, dont il sait peu de chose – prénom, âge, métier et cause de l’accident – elle semble un tantinet invraisemblable… Mais je me suis laissée prendre malgré tout, voulant absolument y croire – mon côté midinette très certainement. N’oublions pas que nous sommes dans un roman, l’auteur peut bien se permettre toutes les folies !
La plume de l’auteur est fluide et agréable, bien que je reprocherai un certain nombre de répétitions, notamment lors des chapitres concernant Elsa. Ainsi, cette dernière répète un peu trop souvent qu’elle ne peut ressentir. Qu’elle ne peut qu’imaginer. Cela est bien moins marqué dans la suite du roman, il est possible également que prise dans l’histoire et les mots de l’auteur, je l’ai bien moins remarqué.
Un roman, donc, émouvant, plein d’espoir, qui se lit d’une traite. Une histoire atypique, des personnages hors du commun. Je comprends aisément que l’auteur ait reçu un prix lui ayant permis d’éditer ce roman chez JC Lattès, le Prix Nouveau Talent 2015. Chapeau bas pour un premier roman !
Ma note : 4/5