Marc Fernandez, Mala Vida, Editions Préludes, Paris, 2015.
Quelle belle surprise que ce roman ! Décidément, les éditions Préludes ne parviennent pas à me décevoir et c’est tant mieux ! Roman sur l’Espagne d’aujourd’hui, touchée de plein fouet par la crise, et l’Espagne d’hier, pleine de secrets honteux qui resurgissent…
Espagne, donc, de nos jours. Après des années de pouvoir socialiste, la droite dure, proche du franquisme, revient au à la tête de l’Etat, dans un pays touchée durement par la crise financière et dont le taux de chômage est plus qu’inquiétant. Le soir des élections, un premier meurtre, d’un jeune homme politique proche du nouveau pouvoir, est perpétré, suivi par plusieurs autres dans toute l’Espagne, de Madrid à Barcelone, en passant par Valence, ciblant des personnes aux responsabilités très différentes, sans lien en apparence si ce n’est leurs rapports avec le franquisme. Très vite, un journaliste qui a réussi à garder son poste dans une radio publique malgré le nouveau gouvernement, Diego Martin, est intrigué par le premier meurtre perpétré. C’est un journaliste à l’ancienne : il aime aller lentement, remonter les pistes, et ne rien laisser de côté. Mais dans ce cas-là, le mystère est bien épais. Quand une mystérieuse association se révèle aux médias et à l’Espagne pour dénoncer un réseau de vol de bébés mis en place par Franco et qui lui aurait survécu, l’Espagne est choquée, révoltée, indignée, dans un sens comme dans l’autre. Et si tout était lié ? Diego se retrouve au milieu du séisme, à essayer de démêler le vrai du faux et à toujours tenter de rester au plus près de ses convictions, bien éloignées de celles des dirigeants…
C’est un roman sublime et extrêmement intéressant. Si je m’intéresse depuis quelques temps à l’histoire de l’Espagne, et notamment à la guerre civile qu’elle a connu, ce roman permet de s’y replonger d’une manière différente, plus actuelle. Il s’agit ici de mémoire collective, d’oubli et de réparation. La loi d’amnistie a permis aux partisans de Franco de continuer leurs vies normalement, le but étant d’enterrer rapidement le passé pour construire une Espagne nouvelle. Mais est-il si facile d’oublier ? Peut-on pardonner aussi aisément ? Ce récit nous montre une Espagne toujours hantée par ce qu’elle a vécu au siècle dernier. Certains la regrettent, d’autres la maudissent, et tous cohabitent. Ce qui est le plus frappant, c’est peut-être l’image de la religion catholique extrémiste révélée par Marc Fernandez, très proche du franquisme, et qui a permis au Caudillo d’arriver au pouvoir et d’y rester, qui a cautionné et cautionne toujours ses actes. Ce qui nous montre bien qu’une démocratie ne vaut que par la séparation de l’Eglise et de l’Etat…
Au-delà de la réflexion historique, politique et sociétale que la lecture de ce roman nous offre, l’auteur nous surprend par une intrigue bien ficelée, une enquête journalistique de bout en bout, où tout est loin d’être réglé la dernière page tournée. Mais peu importe, le principal est là : les personnages sont intéressants, Diego d’abord, ce solitaire au passé sombre, son amie détective Ana ensuite qui a vécu des horreurs en Argentine en tant que transsexuel, enfin David le magistrat qui essaye de garder sa liberté de juger sans mainmise de l’Etat, ce qui est de plus en plus dur par les temps qui courent. Et pour finir, Isabel, le personnage le plus complexe, mais peut-être aussi le plus humain du roman, avocate d’origine espagnole qui a grandi en France, et qui a tout plaqué pour s’installer à Madrid et défendre cette association, l’ANEV, Associations nationale des enfants volés. Personnage plus opaque qu’il n’y paraît…
Ce récit nous emporte dans cette Espagne prise entre présent et passé, entre oubli, pardon, justice et vengeance. Un récit captivant, donc, dans lequel la plume de l’auteur nous emporte sans difficulté. Un roman que je vous conseille de lire de toute urgence !
Ma note : 5/5