Karen Russell, Swamplandia, Albin Michel / Le Livre de Poche, Paris, 2012 / 2014.
Swamplandia, c’est le nom d’une île dans les marécages de Floride. Mais c’est aussi le nom d’un parc d’attraction bien particulier appartenant à la famille Bigtree, tribu originale qui s’est inventée des origines indiennes.
L’originalité du parc prend source dans les caractéristiques mêmes des marécages : il est basé sur le thème des alligators, nommés Seth, et sur leur domptage. La reine du parc dont dépend toute sa renommée ? Hilola Bigtree, la maman de cette tribu constituée de Kiwi, Osceola et Ava. Des enfants aux drôles de prénoms, qui augurent bien de cette histoire.
Parc de renommée, les Bigtree, avec le Chef à la barre, père de nos enfants bien originaux, s’enfonce peu à peu et la fréquentation n’est plus ce qu’elle était. Cette perte de vitesse est liée à la mort d’Hilola, la maman fantasque et aimante et la dompteuse la plus célèbre d’alligators. Mais si cette perte de repères pour tous les membres Bigtree est déjà bien dure à vivre, et remonter la barre de Swamplandia bien difficile, un parc concurrent s’ouvre sur le continent. Le Monde de l’Obscur est près de l’autoroute, et peut s’offrir des spots publicitaires. Il est de plus bien plus moderne…
Le parc à alligators est de plus en plus désert… Mais Ava ne le supporte pas. Future dompteuse qui devait succéder à sa mère, elle veut coûte que coûte sauver le parc, et par là même sa famille qui part à la dérive : son père envisage des projets fous, qui ne peuvent que renforcer leurs dettes, et prétend que tout va pour le mieux, Osceola pense être habitée par des fantômes et Kiwi se rebelle face à cette famille qui refuse de voir la vérité en face.
Mais est-il question de sauver Swamplandia, ou bien de donner des repères à cette famille brisée depuis la mort de son membre fédérateur ?
Bien des aventures attendent cette famille. Tous ses membres vont passer violemment à l’âge adulte, même le Chef, après cet été aux multiples péripéties.
D’abord un roman sur l’enfance et l’adolescence, nous suivons dans un premier temps Ava, qui s’exprime à la première personne du singulier. Cette jeune fille atypique et attachante est animée d’un désir fou de sauver le parc, et par là même une part de sa mère. Ce monde hors du temps, hors des conventions dans lequel elle évolue marque le monde de l’enfance et des rêves, un monde poétique et onirique que Karen Russell fait vivre avec magie dans ces pages.
A partir d’un certain stade, un chapitre sur deux est consacré à Kiwi qui par sa confrontation au monde continental, à la vie normale, au monde sans pitié du travail, à la méchanceté, les railleries, mais aussi l’amitié, va se construire et grandir. Et comprendre aussi bien des choses sur lui que sur sa famille. Plein d’audaces et très intelligent malgré une éducation bien malmenée, il rêve de sauver Swamplandia, alors même qu’il était le premier à ne plus croire en son avenir.
Ce roman nous raconte la perte de repères après le décès d’un proche de manière très sensible. On y découvre un univers enfantin au travers des yeux d’Ava. Cet univers qui fait qu’on veut croire, toujours espérer et faire confiance, toujours confiance, jusqu’à faire preuve d’une grande naïveté que seul un adulte pourrait prévenir.
Cet univers particulier, cette île, ces marécages, ces alligators, cette manière de vivre loin des conventions où les enfants confrontent des alligators, sont peu scolarisés et peuvent rester seuls pendant des semaines sur leur île, paraissent farfelus, dans un monde où services sociaux et instances officielles ne pourraient laisser une telle situation s’installer. Mais dans un territoire aussi reculé que cette partie de la Floride, tout semble possible, surtout quand c’est Karen Russell qui nous conte l’histoire.
On comprend aisément à la lecture de ce roman surprenant que l’auteur a terminé finaliste au Prix Pulitzer. Ce roman est un bestseller, qui devrait être adapté en série télévisée par la chaîne américaine HBO.
Un seul petit bémol cependant. Je ne m’attendais pas à une telle histoire à la lecture de la quatrième de couverture. J’imaginais quelque chose de bien plus léger, de moins complexe, avec des événements bien moins dramatiques. Heureusement, une fois remise de premières impressions un peu désabusées à la lumière du décalage entre mes attentes et la réalité du roman, j’ai pu me plonger avec délectation au sein de ce monde foisonnant. On imagine ces marécages, les plantes décrites, ces alligators amorphes mais dont il faut toujours se méfier.
Tentez l’aventure, suivez Ava et sa tribu, vous n’en sortirez pas indemnes…
Ma note : 4/5