Emilie de Turckheim, Le joli mois de mai, Editions Héloïse d’Ormesson / Le Livre de Poche, Paris, 2010 / 2014.
Ce petit roman, à la couverture attrayante, fut une très belle surprise, et j’ai pris beaucoup de plaisir à sa lecture.
Monsieur Louis vient de mourir. Tout porte à croire qu’il s’est suicidé, utilisant pour se faire son fusil. Il tenait un hôtel pour chasseurs à la campagne. Des parisiens venait passer le week-end à chasser chez Monsieur Louis, et logeaient dans sa demeure. Aimé, le narrateur, et Martial, simple d’esprit, l’aidaient à entretenir le domaine et s’occupaient des tâches domestiques. Ils se retrouvent désormais seuls, en ce joli mois de mai, qui voit la venue des héritiers de Monsieur Louis. Ces “têtes de chiens”, comme les prénomment Aimé et Martial, sont si différents les uns des autres que les raisons qui ont poussé Monsieur Louis à les coucher sur son testament demeurent étranges. On trouve un officier de police à la retraite, un ancien militaire, un tenancier de bordel homosexuel et un couple véreux, qui ont pour seul point commun d’avoir déjà séjourné chez Monsieur Louis. Ils se retrouvent autour d’Aimé à attendre le notaire. Mais leur présence sur ce testament est-il leur seul point commun ?
Ce huis-clos est formidable et plein d’ingéniosité. La plume d’Emilie de Turchheim est envoûtante. Le narrateur de cette histoire est Aimé, qui dit lui-même “(…) je sais pas raconter les histoires” (p.7). En vérité, l’histoire est très bien racontée, avec ce qu’il faut de suspens. Mais c’est vrai qu’Aimé n’est jamais allé à l’école, et ne parle donc pas un français très correct. Et si ce point m’a un peu choquée et dérangée à la lecture des premières pages, ce malaise s’est vite effacé, puisque c’est bien cette particularité qui fait la force et l’originalité de ce roman, qui le rend si réel.
Martial nous raconte donc cette histoire à sa manière, distillant des informations sur sa vie, celle de monsieur Louis et de Martial, sur les gens qu’ils côtoyaient, et sur leurs invités. Il nous dépeint avec ses mots ces personnages loufoques, obligés de cohabiter pendant une soirée et une nuit. Leurs originalités, leurs particularités, leurs tempéraments. L’utilisation de mots simples, et de tournures de phrases à la limite du bon français, ne rend que plus forte cette sensation étrange qui habite le lecteur, ce sentiment que ces personnages ont bien plus en commun que ce qu’on peut penser. Et les éléments qui donneront cohérence à l’histoire sont petit à petit distillés dans le discours d’Aimé, on fait progressivement des liens. L’auteur nous amène sur le chemin de la compréhension avec un talent foudroyant, jusqu’à ce que tout le puzzle s’assemble enfin correctement. Et là, amis lecteurs, quelle surprise ! Quel final !
Ce roman est juste incroyable, un vrai bijou. En 125 petits pages, Emilie de Turckheim réalise un tour de force d’écriture et d’originalité. Chaque mot, chaque phrase est étudié, chaque information a de l’importance, alors qu’on a l’impression qu’Aimé nous livre tout ce qui lui vient à l’esprit en instantané, sans y réfléchir. Mais on comprend rapidement qu’il est bien loin d’être idiot, et qu’il nous amène petit à petit vers un dénouement détonnant.
Certaines phrases sont de vrais bijoux, pleines de poésie, et je ne peux résister à l’envie d’en partager avec vous :
« La compassion, c’est quand on souffre un tout petit peu pour faire plaisir à quelqu’un qui souffre beaucoup plus que soi. » p. 70
« Moi je trouve qu’un mort, quand on le regarde dans les yeux, c’est sa mort à soi-même qu’on voit le mieux. » p. 33
« Elle m’a expliqué que s’offusquer, c’est quand on a encore assez d’amour-propre pour cracher sur les porcs qui vous touchent les fesses sans crier gare et sans payer. » p. 52
J’ai pris un immense plaisir à la lecture de ce roman, c’est une belle révélation de ce début 2014. Alors, n’hésitez plus et laissez-vous tenter !