Laura Kasischke, Les Revenants, Christian Bourgeois Editeur / Le Livre de Poche, Paris, 2011
Quel roman ! Je comprends aisément qu’il ait reçu le Prix des Lecteurs, Sélection 2013 !
L’histoire d’abord – et je vais avoir bien des difficultés à l’exposer sans trop en révéler… Un drame s’est produit au sein d’une université américaine : Craig et Nicole ont eu un accident de voiture, fatal pour Nicole. Craig est perdu et confus : il a tué la personne qu’il aimait le plus au monde et ne se souvient de rien… le vide intégral. Depuis, il a bien du mal à s’en remettre. Il décide pourtant et contre toute attente de revenir à l’université pour une nouvelle année universitaire, malgré toute l’animosité dont font preuve les membres de la sororité de Nicole, Oméga Têta Tau, qui le considèrent comme un meurtrier. Il est néanmoins épaulé par Perry, son ami et colocataire, qui le défend envers et contre tous car il sait bien que Craig n’était pas sous l’emprise de substances, malgré ce que tout le monde croit, le soir où il a pris le volant avec Nicole à ses côtés. Mais Perry est également troublé par toute cette affaire, car depuis quelques temps, des événements étranges se produisent autour de Nicole et de sa mort, qui l’amène à s’interroger sur la mort et à suivre un séminaire d’anthropologie sur le sujet, dispensé par Mira, très encline à vouloir aider Perry. Mais il n’est pas le seul à se poser tout plein de questions : Shelly était présente sur les lieux de l’accident, c’est d’ailleurs elle qui a appelé les secours. Et pourtant, malgré tous ses efforts, les journalistes ne veulent pas retenir sa version des faits, et s’appliquent à donner un compte-rendu complètement erroné des événements…
Mais que se cache-t-il derrière la mort de Nicole ?
Un roman très dense et puissant. Laura Kasischke réalise un tour de force avec ce roman psychologique aux personnages tous plus intéressants les uns que les autres. Sa plume acérée dépeint une Amérique et un système universitaire très sombres, où tout est bon pour cacher de petits secrets. Sans rien vous révéler, la fin est surprenante.
Petit à petit, on commence à comprendre que tout ce qui semblait acquis au début du roman s’effondre petit à petit : la douce Nicole semble plus perverse que ce qu’elle laissait voir à Craig, Oméga Thêta Tau est bien moins respectable que ce qu’on pourrait croire, le système universitaire plus perverti que ce qu’il devrait être.
La construction du roman est brillante : le passé se mêle au présent, certains chapitres concernent des événements ayant eu lieu avant l’accident. Ces retours en arrière ne sont pas annoncés, il faut lire quelques lignes pour s’apercevoir que Nicole est toujours en vie, et qu’on assiste aux événements ayant conduits à cette fameuse soirée où tout a basculé… Cette construction, critiquée par certains lecteurs sur Babelio, ne m’a pas décontenancée, au contraire, elle nous permet de mieux comprendre les personnages, de “mener notre enquête”, d’accentuer ce côté “voyeur” que tout lecteur ressent, afin de se faire sa propre opinion des événements survenus. La lecture en est densifiée, ce qui nous permet de mieux appréhender la psychologie des personnages. Parce que ce roman, c’est aussi une galerie impressionnante de personnages auxquels on s’attache et qu’on apprend petit à petit à connaître, à travers la trame principale, mais aussi de leurs parcours individuels : Mira et ses problèmes familiaux, Shelly et sa solitude, etc.
Mais ce roman, c’est aussi et surtout un roman sur la mort, sur la manière de faire son deuil, sur l’anthropologie de la mort, discipline à laquelle on est initié grâce aux réflexions de Mira – l’ancienne étudiante en histoire de l’art et archéologie que je suis a beaucoup apprécié cet aspect-là. Et tout est très juste, très bien dépeint, l’auteur ne fait jamais dans le sensationnel.
Laura Kasischke ne s’embarasse pas de tabous et offre un roman vrai, extrêmement bien écrit et construit, qui flirte entre l’enquête, le mystique, l’anthropologie, la psychologie et la sociologie. Un livre brillant, donc, certes un peu dur mais qu’il faut absolument lire !
Ma note : 4/5